C’est en lisant l’excellent article de mon ami sur la médecine de l’Egypte antique que, cheminant d’un lien vers l’autre, j’ai relu le Papyrus Ebers, un traité des maladies internes. Il s’agit d’ un texte médical vieux de plus de trois mille cinq cents ans.
Le Papyrus Ebers : un corps-réseau, pas une machine
Dans cet article
ToggleDans le Papyrus Ebers (vers -1550), le corps humain n’est pas vu comme un assemblage de pièces, mais comme une ville traversée de canaux.
Les Égyptiens parlent des metou :
Ces canaux transportent :
le sang,
l’air,
les liquides,
mais aussi des forces vitales plus subtiles.
Le cœur est pensé comme un centre de distribution,
comparable à une place centrale ou un carrefour.
La maladie, quant à elle, n’est pas un ennemi extérieur à combattre, mais un trouble de la circulation :
obstruction,
engorgement,
corruption d’un flux.
Soigner consiste alors à :
débloquer,
drainer,
remettre en mouvement,
purifier les passages.
Cette vision est profondément urbaine.
Elle ressemble davantage à la gestion d’une cité qu’à la réparation d’une machine.
Ce point est fondamental :
le soin consiste à rétablir la circulation, pas à “combattre un ennemi”.
Le corps comme ville / la ville comme corps
L’analogie fonctionne dans les deux sens.
Dans cette métaphore :
une ville malade est une ville qui ne respire plus
un corps malade est un corps coupé de ses échanges
La ville comme corps élargi
Le cœur joue le rôle d’une place centrale.
Les vaisseaux sont des routes et des canaux.
Les poumons sont des zones d’échange avec l’extérieur.
Le foie agit comme une station d’épuration.
Les reins filtrent, régulent, éliminent.
Les intestins transforment, recyclent, redistribuent.
Le système nerveux transmet l’information, coordonne, alerte.
La peau protège, régule, échange avec le monde.
Les échanges au coeur de la santé :
Dans cette ville corporelle, la santé dépend moins de la performance de chaque organe que de la qualité des circulations entre eux.
Un corps en bonne santé est un corps où :
rien ne stagne trop longtemps,
rien ne circule trop vite,
rien n’est coupé du reste.
Et si nous imaginions l'inverse : la ville comme corps malade
Regardons maintenant nos villes modernes.
Routes saturées.
Flux continus.
Sols imperméabilisés.
Air pollué.
Lumière artificielle permanente.
Alimentation ultra-transformée.
Déchets exportés loin des regards.
Les symptômes urbains ressemblent étrangement à ceux de nos corps contemporains :
surcharge,
inflammation,
stress chronique,
fatigue systémique,
perte de capacité de régénération.
Nos villes ne respirent plus vraiment.
Elles n’éliminent plus correctement.
Elles transforment mal leurs déchets.
Elles accélèrent tout, en permanence.
Comme un corps soumis à une alimentation déséquilibrée et à un stress constant, la ville moderne s’épuise tout en continuant à fonctionner — jusqu’au point de rupture.
Le jardin : organe oublié mais vital
Et c’est ici que je me suis posé la question du jardin.
Quelle est sa place dans ce système ?
Le jardin n’est pas un décor
Le jardin est souvent relégué au rang de luxe.
Pourtant, il est un organe fonctionnel essentiel, à la fois :
Dans le corps comme dans la ville, il joue plusieurs rôles à la fois :
il respire,
il filtre,
il transforme,
il apaise,
il régénère.
Le jardin est un lieu de digestion du monde.
Il reçoit les excès :
carbone,
déchets,
stress,
chaleur,
bruit,
désordre.
Et il les transforme lentement en fertilité.
Le jardin comme médecine ancienne et moderne
Nous pouvons relier :
Papyrus Ebers
jardins médicinaux médiévaux
potagers de subsistance
jardins ouvriers
permaculture
sols vivants
En effet, tous ont un point commun :
👉 soigner sans séparer
👉 nourrir sans épuiser
👉 équilibrer plutôt que dominer
Et si notre corps était une ville ?
Une ville en bonne santé ressemble à un corps apaisé.
Un corps en bonne santé ressemble à un jardin vivant.
Le jardin et le sol vivant : l’intestin de la Terre
Sous nos pieds, le sol vivant fonctionne comme un immense système digestif.
Bactéries, champignons, vers, micro-organismes transforment ce qui est mort, usé ou rejeté en ressources nouvelles.
Ce processus ressemble étrangement à celui de notre microbiote intestinal.
Quand le sol est vivant :
il nourrit sans s’épuiser,
il régule sans violence,
il soigne sans intervention lourde.
Quand il est détruit :
tout devient dépendant d’intrants,
tout s’appauvrit,
tout se rigidifie.
Un jardin vivant est donc l’équivalent d’un intestin en bonne santé :
discret, invisible, mais absolument vital.
Jardiner comme acte de soin
Jardiner, dans cette perspective, n’est pas produire à tout prix.
C’est soigner des circulations.
C’est accepter :
la lenteur,
la diversité,
la coopération du vivant invisible,
l’imperfection féconde.
Le jardin ne combat pas la maladie.
La maladie ne s’installe pas par hasard,
elle s’installe quand un terrain devient favorable,quand le terrain n’a plus la capacité de se rééquilibrer seul.
Or, le jardin aide le terrain à retrouver une capacité de rééquilibrage. Il redonne au vivant les moyens de faire son travail.
En somme, le jardin n’efface pas la maladie : il réduit le terrain sur lequel elle peut s’installer.
Il ne force pas.
Il accompagne.
Il n’isole pas un problème.
Il rééquilibre l’ensemble.
Le jardin intérieur et le jardin extérieur
Il existe un jardin dans la ville, mais aussi un jardin dans le corps.
Le jardin intérieur, c’est :
notre capacité à digérer ce que nous vivons,
à transformer plutôt qu’accumuler,
à laisser circuler plutôt que bloquer.
Quand ce jardin intérieur disparaît, le corps s’enflamme.
Quand les jardins extérieurs disparaissent, la ville s’asphyxie.
Dans les deux cas, la solution n’est pas la fuite en avant technologique, mais le retour du vivant comme allié.
Finalement, il faut réhabiliter le jardin comme organe vital
Les Anciens l’avaient compris intuitivement :
on ne soigne pas un corps sans soigner ses circulations.
Nos villes, comme nos corps, ont oublié cette sagesse.
Réhabiliter le jardin — dans le sol, dans la ville, dans le corps — ce n’est pas revenir en arrière.
C’est retrouver une intelligence ancienne, profondément moderne.
Une ville en bonne santé ressemble à un corps apaisé.
Un corps en bonne santé ressemble à un jardin vivant.
Et peut-être est-ce là que commence toute véritable médecine.
Et vous, où voyez-vous le “jardin” dans votre corps ou dans votre ville ?
J’aimerais beaucoup lire vos réflexions et vos expériences.
- Qu’est-ce qui, dans votre quotidien, joue le rôle d’un jardin : un lieu, un geste, un rythme qui vous aide à vous rééquilibrer ?
- Si votre corps était une ville, où serait son jardin aujourd’hui ?
- Avez-vous déjà senti qu’un jardin, un contact avec le vivant, changeait quelque chose dans votre équilibre ?
Ce texte n’apporte pas de réponses définitives.
Il ouvre une piste.
N’hésitez pas à prolonger la réflexion, à la nuancer ou à la questionner.
